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 Plage

 
Plage à Bahia

Huile sur toile 70 x100 cm 

Le ciel était horriblement gris. L'employé de l'hôtel déposa nos valises sur la petite terrasse devant le cabanon numéro 24.
L'intérieur était sombre mais joliment aménagé, sans luxe mais très fonctionnel et le lit avait un gros matelas bien épais...
Bernard s'éclipsa immédiatement pour retrouver ses collègues de travail.
J'écartai les rideaux pour avoir un peu de lumière, la tringle bascula de son support et tomba par terre... 
Je m'allongeai quelques instants, épuisée par notre long voyage transatlantique de la veille.
Après ce qui me sembla cinq minutes à peine, la pluie se mit à tomber brutalement, drue et bruyante, le ciel s'assombrit encore davantage,
quelques éclairs zébrèrent le ciel. Les jardiniers qui s'affairaient à couper des palmes juste devant notre case interrompirent immédiatement leur travail.
De gros tas de feuillages et de noix de cocos jonchaient le sol.

Quand vint enfin une accalmie, je sortis en reconnaissance. Des petites allées serpentaient entre les cabanons.
Le nôtre était très bien situé: face à un petit lac artificiel et avec vue sur la mer au delà.
Je fis le tour du resort hôtel, admirant là des broméliacées jaune d'or, ailleurs des philodendrons ou des bougainvillées,
le tout merveilleusement entretenu. Je passai sur le petit pont au dessus de la grande piscine, complètement désertée.
J'arrivai sur la plage, vide elle aussi. Pas un baigneur. Pas un promeneur. Les chaises longues inutiles étaient empilées debout l'une contre l'autre
contre la clotûre en troncs d'eucalyptus là où elle ne s'éboulait pas encore, vaincue par l'érosion.
La mer remontait assez haut, léchant les abords des quelques paillottes en toits de chaume.
Je retournai dans la chambre pour lire mes mails en attendant l'heure du dîner, tout en songeant à un programme 
de peinture et lectures intensives afin d'occuper les prochains jours si le temps était toujours aussi peu engageant. 

Changement de décor total le lendemain matin !
Dès 5H30, le soleil glorieux s'infiltrait déjà entre les rideaux. Conjugué aux effets du décalage horaire, il nous tira gaillardement du lit.
Bernard enfila un bermuda pour se sentir en vacances le temps du petit-déjeuner et comme c'est souvent d'usage d'ailleurs au Brésil.
Puis, comme tous les congressistes, il changea de tenue, revêtit chemise et pantalon,
 avant de rejoindre la grande salle de réunion sérieuse comme il se doit, austère et dépourvue de toute fenêtre. 

Pendant ce temps, je passai le plus clair de la matinée près d'une piscine toute en courbes gracieuses, joliment entourée
 d'une végétation luxuriante et  judicieusement ombragée  par de hauts cocotiers remuant très agréablement au gré du vent. 
Je me plongeai dans la lecture d'un policier captivant et de temps en autre glissais dans l'eau délicieuse.
Depuis mon transat, je pouvais voir un ruban de mer turquoise et les vagues mousseuses se déroulant sur la plage.

L'après-midi, je décidai de rester sur la petite terrasse du cabanon pour peindre. J'avais apporté des petits pots de gouache... 
Si on faisait abstraction sur la droite des bassins de natation  encerclant le grand restaurant, la vue en face était quasi sauvage.
Au premier plan le regard se portait sur le petit lac aux reflets azur et laiteux à cette heure-là
puis sur le cordon littoral engazonné et les cocotiers et enfin sur l'océan au loin.
Je commençai par représenter la paillotte aux murs verts qui devait servir de bar de plage les jours de forte affluence.
Au fil des heures, toute occupée à ma tâche, je fus surprise de constater que déjà les ombres des cocotiers basculaient complètement côté plage,
le lac devenait bleu marine, la mer était encore brillante mais virait progressivement du turquoise au kaki.
Le ciel prenait une vilaine couleur grise. Il était temps de s'arrêter.

Nous nous levâmes de nouveau très tot les jours suivants, pour pouvoir avant les réunions professionnelles faire de longues promenades sur la plage.
Dès 6H, nous foulions le sable mouillé. C'était marée basse à ce moment là et encore plus joli.
Des amas rocheux de loin en loin cassaient la monotonie du paysage et en même temps la violence des vagues
qui venaient mourir doucement à nos pieds et se diluer en grandes flaques miroitantes. 
Nous marchions d'un bon pas et courions de temps à autre en faisant des éclaboussures pour nous rafraichir.
On longeait tour à tour les abords de pousadas ( hôtels pensions) rustiques et néanmoins charmantes,
avec leurs tables bancales en bois délavé et leurs abris de fortune
ou de longues rangées d'aloès bien serrés, fermant les jardins de jolies maisons cachées au milieu des palmiers
ou bien encore de grandes étendues de nature indomptée et superbe. Là, en bordure juste au dessus de la plage, les racines des cocotiers émergeaient
en léger surplomb, insuffisantes à retenir le sable et quelques ipomées rose fuchsia affleuraient çà et là.
On passa aussi le long d'un petit village. Trois barques de pêcheurs gisaient couchées sur le haut de la plage.
Des enfants aussi matinaux que nous barbotaient dans un petit cours d'eau qui se déversait dans la mer.
Deux vautours se disputaient un gros poisson à quelques mètres. Quelques pauvres crabes maigrichons se carapataient en vitesse...

Tout le restant de la semaine, j'eus en sortant du lit la démarche d'une petite vieille, à cause de courbatures terribles dans les mollets.  
Heureusement celles-ci s'évanouissaient assez vite après quelques allées et venues un tantinet comiques et au ralenti de la chambre à la salle de bain. 
A l'heure de la sieste, je goutais l'ombre des paillottes de la plage, somnolais ou lisais tout en écoutant le babillage constant des vacanciers,
en l'occurence  les causeries surtout de  nombreuses mamies assises en rond dans les fauteuils en plastique et attablées comme au café. 
Il y avait en effet tout un groupe de belles bahianaises venues en voyage organisé. Les vieilles dames respiraient la joie de vivre :
guillerettes, coquettes, fluettes ou grassouillettes, on aurait dit des adolescentes ou même des fillettes en colonie de vacances... 
Je me mêlais à elles en m'approchant de deux vendeurs ambulants affables et très patients pour fouiller parmi les tuniques chamarées, les maillots de bain
et les robes transparentes en coton très léger qu 'ils présentaient sur de grands portants. 
Autour du buffet, à l'heure des repas, je croisais encore les mamies.
Il y avait celle à la très jolie coiffure faite de fines tresses argentées tout en filigrane sophistiqué sur sa peau dorée,
celle qui arborait un débardeur très original, aux rayures subtiles et aux couleurs sublimes,
aussi stylé, enviable et ravissant qu'un vêtement Missoni,
ou encore la plus vive et pétulante qui portait de mignonnes spartiates à rubans roses que n'aurait pas reniées les mannequins des années soixante.
C'était celle là aussi qui dansait tous les soirs comme une jeune fille dans les bras d'un gentil animateur de l'hôtel,
pas fâché non plus de trouver une partenaire ayant vraiment le sens du rythme et un sacré pep's !   

Mais les bonnes choses ont une fin.  Pour les bahianaises, comme pour nous, c'était bientôt le jour du départ. 
Je refis ma valise, sans oublier de poser au dessus ma petite toile.
Nous quittions la côte de Bahia avec une pointe de regret mais pour de nouvelles aventures...

Dans les semaines qui suivirent, dans mon atelier, je prolongeai l'enchantement et me remémorai le charme de nos escapades matinales
en brossant à la peinture à l'huile cette fois, une plage quasi déserte comme celles que nous avions parcourues pieds nus et bienheureux...
et quand j'achevai mon tableau, il me revint en mémoire une autre toile d'inspiration similaire peinte en Cote d'Ivoire il y a longtemps ...
Souvenirs ... Souvenirs...

Assinie

Assinie (Côte d'Ivoire)
Huile sur toile

Uma cabana na Bahia

Uma cabana na Bahia
Gouache sur toile 20 x 60 cm

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